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CÔTE-D’IVOIRE

Prise de vue

Peuplée de 15,9 millions d’habitants (2000) pour une superficie de 322 000 kilomètres carrés, la Côte-d’Ivoire a une façade maritime sur le golfe de Guinée. Cette ancienne colonie française devenue indépendante en 1960 est souvent considérée comme un modèle de libéralisme. Mais c’est oublier l’intervention déterminante de l’État (personnifié par Félix Houphouët-Boigny , président depuis l’indépendance) et l’importance du secteur nationalisé.
L’agriculture, « pilier » de l’économie, est à l’origine du fameux « miracle ivoirien ». Mais cet essor économique reste tributaire des variations des cours mondiaux des cultures d’exportation – café et cacao. Les premiers signes d’alarme sont apparus en 1978, et la situation est devenue préoccupante en 1987 avec la chute des cours du cacao dont la Côte-d’Ivoire est le premier producteur mondial. Les problèmes liés à la succession du président Houphouët-Boigny animent la vie politique de ce pays loué pour sa stabilité.

1. Paysage et peuplement

La zone forestière couvre moins de la moitié inférieure du pays, tandis que les savanes septentrionales font la transition avec les pays du Sahel. L’exploitation de la forêt et son aménagement pour les cultures d’exportation ont fait disparaître une grande partie du couvert originel, et des indices de désertification existent dans la savane. Un climat équatorial, avec deux saisons humides et deux saisons sèches d’inégale importance, caractérise le littoral et la zone forestière ; dans la forêt claire et les savanes, il évolue en un climat de type tropical soudanais (une saison humide et une longue saison sèche).
Depuis la frontière avec le Ghana, la partie orientale du littoral est échancrée de vastes lagunes où se jettent les fleuves. La côte devient rocheuse jusqu’au Liberia à l’ouest. Le relief, très érodé, est peu élevé et ne dépasse guère 400 mètres sur le plateau central ; à l’ouest, le massif de Man culmine à 1 190 mètres au mont Tonkoui, et les monts Nimba atteignent 1 800 mètres sur la frontière guinéenne. De nombreux fleuves et rivières coulent du nord au sud. Le Komoé, le Bandama et le Sassandra prennent leur source dans le nord du pays ; le Cavally marque la frontière avec le Liberia.
La forêt et la savane, les deux grandes zones naturelles, ont influencé l’histoire du pays. Nous connaissons peu de chose des populations qui occupaient ces régions avant l’arrivée des grandes vagues de peuplement venues du nord (Senufo et Malinké), de l’ouest (Kru) et de l’est (Akan). Mais, des quatre-vingts ethnies qui habitent la Côte-d’Ivoire , quelques petits groupes témoignent de ces agriculteurs « paléonigritiques » que les invasions ont refoulés sur les lagunes, dans les montagnes ou dans la profondeur des forêts.
Animistes, les Senufo arrivent dans le Nord à partir du XIe siècle ; ce sont des agriculteurs, des forgerons et des artistes remarquables. L’essor des grands empires soudanais dans la vallée du Niger au début du IIe millénaire et le développement du commerce transsaharien eurent des conséquences importantes pour les pays de la forêt, en particulier la Côte-d’Ivoire, productrice d’or et de noix de cola. Au XIIIe siècle, les Mandé manifestent leur présence dans le Nord jusqu’aux limites de la forêt ; ils sont à l’origine des grands centres comme Kong. Les circuits commerciaux sont organisés par les Dioula qui tiennent, dans la savane, le rôle des commerçants maures arabo-berbères au Sahara. Ces Mandé, islamisés de bonne heure, contribuent à l’installation de l’islam dans la région après bien des conflits avec les animistes (dynastie musulmane des Ouatara, 1705). À la fin du XIXe siècle, le conquérant dioula Samori Touré, traqué par les troupes françaises, crée un éphémère royaume dans la région et rase Kong, la grande ville marchande qui n’avait pas su résister à l’attrait du commerce avec les Français.
Totalement différentes sont les migrations akan venues de l’est vers le XVe siècle et qui affectent la forêt et le littoral (fondation du royaume du Sanwi par les Agni) ; aux structures fortement décentralisées des ethnies locales (Bété, Ébrié), ils opposent la notion d’autorité symbolisée par le trône du souverain. Il en est de même des Baoulé qui font mouvement à la même époque et s’établissent autour de Bouaké après l’épopée de la reine Abla Pokou. Les migrations akan se sont déroulées sur plusieurs siècles et sont associées au commerce de l’or.

2. La période coloniale

Le littoral inhospitalier de la Côte-d’Ivoire a retardé longtemps l’établissement de comptoirs côtiers européens qui n’y ont jamais eu l’importance de ceux qui étaient situés à l’ouest, au Sénégal, en Guinée et en Sierra Leone, ou à l’est, en Gold Coast et sur le golfe du Bénin. Aussi la Côte-d’Ivoire n’at-elle été réellement mise en contact avec l’Europe qu’après sa conquête, relativement tardive. Jusqu’aux expéditions de Binger, Crozat, Marchand et Clauzel (1887-1899), la zone forestière était encore isolée du reste du monde, et la savane septentrionale ne sera conquise qu’après la défaite de Samory en 1898. La pacification a été lente et ne s’est terminée qu’en 1915. La Côte-d’Ivoire a été organisée en colonie dans ses frontières actuelles en 1904, lors de la constitution de l’Afrique-Occidentale française (A.-O.F.). En 1932, la majeure partie de la Haute-Volta lui fut rattachée, mais, en 1947, cette colonie fut reconstituée ; il s’agissait de la soustraire à l’influence politique alors radicale du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.).
C’est que la vie politique de la Côte-d’Ivoire était dominée depuis la Seconde Guerre mondiale par Félix Houphouët-Boigny, né en 1905, chef traditionnel baoulé, médecin et planteur. Alors qu’en Gold Coast voisine les Britanniques favorisaient depuis longtemps le développement de plantations indigènes, en Côte-d’Ivoire les autorités coloniales n’envisageaient la mise en valeur du pays que par des colons européens, auxquels le système du travail forcé fournissait alors la main-d’œuvre. Il en était résulté, pendant tout l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, une opposition sourde des planteurs indigènes ; celle-ci se manifesta brutalement en 1944 par la création du Syndicat agricole africain (S.A.A.) qui, sous la direction d’Houphouët-Boigny, devait réunir 20 000 planteurs. La fusion, en 1945, du S.A.A. et des Groupes d’études communistes, créés à Abidjan, devait donner au Parti démocratique de la Côte-d’Ivoire (P.D.C.I.) une organisation extrêmement solide. En 1950, le parti comptait 2 000 comités de villages et de quartiers, ce qui en faisait l’une des sections territoriales les plus puissantes du R.D.A. ; c’est Houphouët-Boigny qui, au congrès constitutif de 1946, à Bamako, en fut élu président.
La revendication de l’abolition du travail forcé donnait au P.D.C.I. une base agraire prédominante et entraînait derrière les planteurs du S.A.A. les masses paysannes victimes de ce système. La lutte devait devenir très violente et susciter en 1950 des incidents sanglants à Dimbokro. L’abolition du travail forcé libéra soudainement d’immenses forces prêtes à assurer un développement accéléré de l’agriculture de plantation indigène. En même temps, le percement du canal de Vridi et la création consécutive, en 1950, d’un port en eau profonde à Abidjan, débouché du chemin de fer d’Abidjan à Ouagadougou – construit par étapes en un demi-siècle –, permirent, à partir de cette date, une mise en valeur accélérée du potentiel économique de cette colonie, jusque-là délaissée parmi l’ensemble de l’A.-O.F.

3. Le « miracle ivoirien »

Un rythme de croissance exceptionnel
Jusqu’en 1965, le pays a connu un rythme de croissance exceptionnel qui, avec le recul, mérite amplement sa qualification de « miracle ivoirien ». De 8 p. 100 jusqu’en 1959, le taux annuel de croissance s’est élevé de 11 à 12 p. 100 de 1960 à 1965. Durant la période 1950-1965, tous les secteurs en ont plus ou moins bénéficié : agriculture vivrière (7 p. 100), agriculture de plantation (10 p. 100), exploitation forestière (20 p. 100), industrie, artisanat et construction (14 p. 100), communications, commerce et services (10 p. 100), administration (12 p. 100). Le produit intérieur brut a presque quadruplé en quinze ans (230 milliards de francs C.F.A. en 1965). La Côte-d’Ivoire a mis à profit cette période pour réduire la part de l’agriculture (le tiers du P.I.B.) au profit du développement industriel, qui a doublé (17 p. 100), et du secteur tertiaire.
Cet essor économique n’a pas été sans modifier le genre de vie (alimentation) ni accentuer l’exode rural. La production des produits vivriers traditionnels (igname, banane, manioc, mil) a doublé, notamment grâce à l’amélioration de la distribution, servie par un développement du commerce et des communications. Les besoins des Ivoiriens se sont accrus et on a assisté à un essor considérable des céréales « modernes », comme le maïs et le riz, ce dernier étant, comme partout en Afrique, assimilé à une promotion sociale. Le mil traditionnel a subi une chute spectaculaire et, dans les zones urbaines, le pain est devenu une nourriture courante. Le blé et le riz, dont les trois quarts sont consommés dans les villes, ont constitué l’essentiel du déficit ivoirien en céréales. Leurs importations ont été payées par les revenus de l’agriculture industrielle ; dans ce domaine, plus que jamais, « la campagne nourrit la ville ».
Ces cultures, dites « de rente » ou « industrielles », sont la clé du miracle ivoirien. De 1950 à 1965, les exportations de café sont passées de 55 000 à 255 000 tonnes (219 000 t en 1991), le cacao de 50 000 à 120 000 tonnes (750 000 t en 1991), les bananes de 20 000 à 150 000 tonnes, le bois de 90 000 à 1 250 000 tonnes, sans parler de l’ananas dont la Côte-d’Ivoire est devenue, au fil des ans, un des plus grands producteurs du monde.
L’époque coloniale avait fait la part belle aux industries implantées à Dakar, capitale de l’ancienne Afrique-Occidentale française. En 1960, l’indépendance des pays francophones a donné à la Côte-d’Ivoire l’occasion d’investir ses revenus agricoles sur place dans l’industrie légère, en particulier alimentaire (minoteries, huileries, conserveries), et de transformation (filatures, scieries). Le bond a été spectaculaire (décuplement, en quinze ans, du chiffre d’affaires de la grande et petite industrie, soit 51,1 milliards de francs C.F.A. en 1965). Durant la première décennie, les investissements publics ont compté pour 60 p. 100 du total, essentiellement dans l’infrastructure. Par la suite, les fonds privés et ivoiriens sont venus s’y ajouter. Dans les régions baoulé et agni du Centre et du Sud-Est – zones forestières où l’on cultive le café et le cacao –, une classe de planteurs aisés (20 000 environ) et à peu près deux fois plus de planteurs moyens exploitent le quart des plantations, avec l’aide d’ouvriers agricoles, souvent immigrés. Chefs de clans et chefs de villages ont renforcé leur pouvoir par la prise de possession de terres qui appartiennent traditionnellement à la collectivité. La mise en valeur de la forêt de l’Ouest – le grand projet de la fin des années soixante-dix – a fait appel à de petits colons locaux ou immigrés. L’écart entre les régions n’a fait que s’accentuer, surtout avec les savanes du Nord, où les cultures d’arachide et de coton maintiennent difficilement sur place des populations attirées par l’essor de la « forêt ».

Démographie et urbanisation
Ces « quinze années glorieuses » sont allées de pair avec un essor démographique remarquable et une accélération de l’urbanisation. De 1 540 000 habitants en 1920, la population est passée à 2 170 000 en 1950, 3 880 000 en 1965, et 10 800 000 en 1987 ; la Côte-d’Ivoire compte 15,9 millions d’habitants en l’an 2000 et 43 p. 100 de la population a moins de quinze ans.
Le développement de la population urbanisée est encore plus spectaculaire ; les 25 000 Ivoiriens habitant en 1920 dans des centres urbains sont devenus 160 000 en 1950 et 650 000 en 1965 ; en 2000, la population des villes dépassait 7 millions d’habitants (46 p. 100). Entre-temps, il est vrai, de grandes cités sont nées, autant sur la côte, en zone forestière, que dans la savane. De 46 000 habitants en 1945, Abidjan est passée à 265 000 quinze ans plus tard, 1 389 000 en 1975, et 2 000 000 en 1990. Bouaké avoisine le million d’habitants ; d’autres villes (Bondoukou, Daloa, Man, Korhogo, Divo) dépassent les 200 000 habitants. La population de Yamoussoukro, la ville natale du président Houphouët-Boigny, promue nouvelle capitale du pays, ne cesse de croître (150 000 habitants en 1987).
L’essor économique a ouvert le pays à l’immigration en provenance des pays voisins – surtout du Burkina Faso, dont la partie occidentale avait été rattachée à la Côte-d’Ivoire entre les deux guerres –, mais aussi de pays non africains (France, Syrie et Liban). Les travailleurs étrangers sont employés dans les plantations, sur les grands chantiers et dans les ports. L’immigration d’origine africaine est temporaire – la durée de la saison sèche dans leurs régions d’origine, la savane – ou permanente, de nombreux immigrés ayant acquis la nationalité ivoirienne. Leur insertion et leur assimilation ne sont pas sans poser des problèmes avec les populations locales, surtout en période de récession. En 1990, le pays comptait plus de 30 p. 100 d’étrangers ; en 1987, il y avait 50 000 Français (coopération, cadres) et 100 000 Libanais et Syriens (commerce, distribution).

4. Un régime présidentiel

Un parti unique
L’auteur de ce « miracle » économique, c’est avant tout le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. 1950 est la date charnière à laquelle cet ardent défenseur des petits planteurs africains – compagnon de lutte, au sein du R.D.A. après la guerre, d’Ahmed Sékou Touré, le virulent syndicaliste guinéen – a opté pour une coopération sans failles avec la France. À cette époque, en effet, la guerre froide empoisonne les relations internationales, et le R.D.A., qui regroupe la plupart des élites de la région, est apparenté au Parti communiste et n’a que l’exemple du Vietnam comme moyen d’accéder à l’indépendance. Pourtant, François Mitterrand, le leader de l’U.D.S.R., un petit parti charnière à l’Assemblée nationale française, parviendra à convaincre les leaders africains du R.D.A. de s’apparenter avec sa formation plutôt qu’avec le Parti communiste. Cet événement capital s’est concrétisé lors de l’inauguration du port d’Abidjan en 1951. Il allait, avec la loi-cadre de Gaston Defferre (1956), puis l’indépendance, en 1960, éviter à l’Afrique noire française le drame d’une décolonisation sanglante.
Le P.D.C.I. remporte les élections locales de 1957 sur les partis suscités par l’administration coloniale (Bloc démocratique éburnéen, Entente des indépendants de Côte-d’Ivoire). Un gouvernement est mis en place avec Auguste Denise comme vice-président ; Houphouët-Boigny accède à la présidence en 1959. Pourtant, l’échec de la Fédération du Mali (1958), qui devait regrouper une grande partie des colonies de l’ancienne A.-O.F., a marqué la première grande épreuve de la Côte-d’Ivoire. Le conflit entre le leader ivoirien et Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal, a, en effet, atteint son point culminant ; Abidjan ne voudra plus être à la remorque de Dakar, et entraînera dans son sillage la Haute-Volta, le Dahomey et le Niger (création du Conseil de l’entente, 1959). Grâce à son infrastructure portuaire et à ses voies de communications (le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou), la Côte-d’Ivoire deviendra un ami obligé pour les pays sahéliens enclavés.
Au cours des années succédant à l’indépendance (août 1960), le président Houphouët-Boigny affermit son pouvoir en écartant nombre de dauphins potentiels au sein du P.D.C.I., devenu parti unique, parfois sous l’accusation de complots (1963, 1964). Le renouvellement des élites politiques a surtout bénéficié à une génération de techniciens et d’universitaires n’ayant pas connu les luttes antérieures à l’indépendance.
Les années soixante-dix ont été marquées par une croissance d’autant plus spectaculaire que dans les pays voisins (Guinée, Ghana, Mali, Haute-Volta) l’économie s’effondrait et que des gouvernements militaires ou civils de plus en plus contraignants se mettaient en place. Les élections de 1970, 1975, 1980 et 1985 ont confirmé (avec près de 100 p. 100 des voix) l’autorité du président Houphouët-Boigny et l’orientation politique d’un régime qui n’a cessé de s’appuyer sur un parti unique (P.D.C.I.-R.D.A.), courroie de transmission entre le chef de l’État et le peuple. La politique d’ouverture résultant des travaux du VIIe congrès du parti a favorisé un rajeunissement du personnel politique, mais dans le seul cadre du parti unique.
Comme la plupart des pays africains, la Côte-d’Ivoire n’a pas échappé à la menace des complots militaires (1975), au mécontentement social (Treichville, 1969), à la contestation étudiante (1969, 1977, 1982), aux tendances séparatistes (pays Sanwy, 1969), à l’opposition des ethnies minoritaires face au centralisme du groupe dominant baoulé et à la résurgence des groupements politiques non autorisés (répression du Mouvement éburnéen, 1970). Mais de tels événements, qui auraient pu être lourds de conséquences dans une période économique incertaine, n’ont pas eu de suite. À l’occasion du remaniement ministériel du 20 juillet 1977, neuf ministres étaient écartés. Quatre d’entre eux étaient les principaux artisans de l’essor économique (Mohamed Diawara au Plan, Henri Konan Bédié à l’Économie et aux Finances, Arsen Assouan Usher aux Affaires étrangères et Abdoulaye Sawadogo à l’Agriculture). En même temps qu’était dénoncée la corruption (loi anticorruption du 23 juin 1977), des mesures spectaculaires étaient prises par le président lui-même pour donner l’exemple et moraliser la vie publique (don de ses plantations pilotes de Yamoussoukro, contrôle du prix des denrées de base).

Une politique étrangère de dialogue
La Côte-d’Ivoire s’est lancée dans une politique régionale de modération visant à résoudre les conflits selon les méthodes de dialogue chères à son président. Mais la politique d’ouverture en direction de l’Afrique du Sud n’a pas abouti malgré plusieurs tentatives (le souci du président Houphouët-Boigny est en effet de s’opposer à l’influence communiste sur les mouvements de libération d’Afrique australe). L’O.U.A. a rejeté la proposition ivoirienne de dialogue officiel avec le régime de Pretoria (Addis-Abeba, juin 1971). Mais en octobre de la même année, une rencontre semi-officielle dans la capitale sud-africaine a mis en présence une délégation ivoirienne de haut rang et le Premier ministre Vorster. Après les interventions soviéto-cubaines en Angola et en Éthiopie, une autre rencontre a eu lieu entre Houphouët-Boigny et Vorster à Genève en 1977.
Les résultats sont plus positifs avec les voisins ouest-africains. Abidjan, qui avait reconnu l’indépendance du Biafra et accordé l’asile politique à son leader, le colonel Ojukwu , s’est employé à normaliser ses rapports avec le Nigeria (1970). La conférence de Monrovia (18-19 mars 1978) a vu la réconciliation entre Léopold Sédar Senghor, Ahmed Sékou Touré et le président ivoirien. Les différends entre les trois hommes remontaient à l’époque du « non » guinéen au référendum et au combat politique pour la direction de l’ensemble économique ayant succédé à l’ancienne A.-O.F., dont la défunte fédération du Mali ne fut qu’un phénomène parmi d’autres. Mais les rapports entre Abidjan et Dakar n’ont jamais atteint le même point de rupture qu’avec la Guinée.

La succession
Le VIIe congrès du P.D.C.I., en 1980, a été celui de l’ouverture. Sans aller jusqu’à l’adoption d’un multipartisme, même tempéré, comme au Sénégal, en légalisant tel parti plutôt que tel autre, la direction du P.D.C.I. a autorisé la présentation d’un nombre de candidats cinq fois supérieur aux postes à pourvoir, afin de favoriser le rajeunissement des cadres. La crainte du chef de l’État était, en effet, de voir s’exacerber le tribalisme avec la création de partis locaux (comme cela s’était produit à la veille de l’indépendance à l’instigation de l’administration coloniale). Devant l’importance grandissante prise par le président de l’Assemblée nationale, Philippe Yacé, « de plein droit président de la République » en cas de vacance du pouvoir, l’Assemblée a voté un amendement à la Constitution créant un poste de vice-président élu au suffrage universel pour cinq ans et devant succéder automatiquement au chef de l’État en cas de vacance du pouvoir. L’événement politique de 1990 fut l’instauration du multipartisme, accordée sous la pression populaire. Le chef de l’État a été réélu en 1991 avec 81,68 p. 100 des suffrages face au leader de l’opposition Laurent Gbagbo. En mai, des manifestations étudiantes durement réprimées ont été accompagnées par l’arrestation de Laurent Gbagbo. Le président de l’Assemblée nationale, et nouveau « dauphin constitutionnel », est Konan Bédié.
En 1983, l’Assemblée nationale avait voté le transfert de la capitale à Yamoussoukro (50 000 hab. en 1980, 250 000 en 1990), le village natal d’Houphouët-Boigny à la limite de la zone forestière, pour soulager Abidjan (2 000 000 d’habitants).

5. Les lois du marché

Ralentissement de la croissance
L’agriculture reste la richesse essentielle du pays (elle occupait six Ivoiriens sur dix en 1985) grâce au cacao et au café. En 1979, le pays était au troisième rang pour la production mondiale de café (robusta essentiellement) avec 275 000 tonnes. Le niveau record a été atteint en 1981 (360 000 t). Les prix du café ont flambé en 1975 après le gel des plantations brésiliennes, incitant le pays à s’engager à fond dans cette culture. Pour le cacao, la Côte-d’Ivoire arrivait en tête de la production mondiale devant le Brésil, le Ghana et le Nigeria avec 313 000 tonnes en 1978. Mais, en raison de la chute des cours, elle a bloqué ses exportations et s’est retirée du marché international (450 000 t de cacao en 1982). Depuis 1978, le marasme a gagné le marché, ce qui pose de sérieux problèmes aux petits planteurs et à l’État qui soutient les prix intérieurs par l’intermédiaire de la Caisse de stabilisation alimentée par le surplus de devises des années fastes (le prix d’achat du café et du cacao a diminué de moitié sur le marché mondial entre 1977 et 1981).
La mise au point d’un « arabusta », variété alliant le robusta et l’arabica, n’a pas emporté l’adhésion des consommateurs. Le pays a continué à miser sur une forte production de café (270 000 t en 1987, 219 000 t en 1991) et surtout de cacao. En 1983, le chef de l’État s’est lui-même rendu à Londres pour négocier un accord sur le café et le cacao avec les négociants et les industriels. Mais l’accord sur le cacao a volé en éclats l’année suivante au détriment de la Côte-d’Ivoire – le plus gros producteur mondial (590 000 t en 1987) – qui s’est trouvée en face d’une montagne d’excédents et d’une chute des cours vertigineuse. En mai 1987, la Côte-d’Ivoire se déclarait insolvable avec une dette de 10 milliards de dollars. L’année suivante, elle bloquait la vente de son cacao (640 000 t en 1988) et demandait l’aide de la France. Par ailleurs, la tendance chez les industriels européens à mettre sur le marché des produits chocolatés contenant 5 p. 100 de matières grasses végétales (du beurre de karité) réduirait de 10 p. 100 le besoin mondial en cacao, mesure grave pour la Côte-d’Ivoire, qui a produit 750 000 tonnes de cacao en 1991, mais qui favoriserait ses voisins sahéliens, le Burkina Faso et le Mali, producteurs de noix de karité, arbre de la savane.
La politique de diversification des cultures industrielles et des cultures vivrières décidée à l’aube de l’indépendance a permis d’obtenir des résultats appréciables (150 000 t d’ananas industriel en 1977, 160 000 t de bananes en 1976, 460 000 t de riz paddy en 1976). Après la mise en œuvre du Plan palmier en 1963, la Côte-d’Ivoire est devenue le deuxième producteur africain d’huile de palme après le Zaïre (300 000 t en 1985). Touchés par la crise du cacao, de nombreux planteurs se sont tournés vers la culture de l’hévéa. Le pays s’est fixé comme objectif de tripler sa production de caoutchouc de 1988 (51 500 t) en une décennie pour dépasser le Liberia et devenir, ainsi, le premier producteur du continent.
Les régions forestières restent les seules bénéficiaires de cette agriculture de marché. Le Nord, savane au climat plus sec, où seule la culture du coton est possible, ne progresse guère dans un pays où les potentialités économiques sont proches de la côte. Les efforts entrepris pour développer l’élevage et la culture du coton (189 000 t en 1985) ne parviennent pas à freiner l’exode rural et demeurent insuffisants. Avec le café et le cacao, les ressources de la forêt (l’« or vert ») contribuent pour près de 80 p. 100 aux exportations. L’industrie du bois est concentrée dans l’ouest du pays, où le nouveau port de San Pedro (50 000 hab.) doit équilibrer la région et faire contrepoids aux installations portuaires d’Abidjan. Cette exploitation de la forêt ivoirienne doit entraîner la construction d’une usine de pâte à papier (30 000 t par an) et la plantation d’hévéas pour la production de caoutchouc naturel.

Pétrole et agriculture
« L’agriculture doit rester le pilier essentiel de notre économie », déclarait le président Houphouët-Boigny au VIIe congrès du P.D.C.I. On retrouvait là le chef syndicaliste de l’époque coloniale menant le combat politique des petits planteurs. L’industrialisation n’est pas oubliée, elle doit être mise au service de l’agriculture et des paysans. Cette constante dans la politique ivoirienne, grâce à laquelle ont été évitées les erreurs d’un certain nombre de pays neufs, est autant une option idéologique qu’une mesure pragmatique destinée à freiner l’exode rural. C’est ainsi que des aménagements électriques ont été entrepris sur le fleuve Bia (Ayamé I, 2 Z 10 MW ; Ayamé II, 2 Z 15 MW), sur le Bandama (Kossou, 3 Z 58,8 MW).
La Côte-d’Ivoire comptait beaucoup sur son pétrole off-shore (régions d’Abidjan et de Jacqueville) pour créer une industrie pétrochimique et disposer de fonds destinés à alimenter, le cas échéant, la Caisse de stabilisation du café et du cacao. Mais la récession mondiale dans le domaine pétrolier a joué, ici aussi, contre la Côte-d’Ivoire qui pensait occuper une place honorable dans la production de l’or noir africain.

Artiste : JULIEN GOUALO - Titre : SOUTRA LI - Album : QUI VIVE